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3.3 Analyse des données

3.3.2 Les résultats de la presse québécoise

Je viens de traiter les résultats trouvés dans les publications françaises, et maintenant il faut analyser les résultats de la presse québécoise. Comme on a déjà vu que le nombre d’occurrences de noms est moins élevé dans les publications québécoises que dans les publications françaises, je présente les 18 noms masculins les plus fréquents, ayant une fréquence de quatre ou plus trouvés dans les magazines L’actualité et Châtelaine :

*leader18 Masc. 3 1 4

*leader Fém. 0 1 1

Tableau 4 : Aperçu des publications québécoises : les occurrences des noms de métiers, fonctions, grades et titres par publication et par genre.

D’après le Tableau 4, les résultats à commenter sont parmi d’autres le nombre total des occurrences au masculin, qui est de 139 contre 77 occurrences au féminin. En pourcentages cela montre que les noms à la forme masculine représente 65,2 %, et les noms féminins 34,8 %. Ces résultats sont autres que ceux prévus. Selon l’aperçu des données dans le Tableau 2, qui montre l’occurrence des noms de métiers, fonctions, grades et titres à la forme masculine et féminine par publication, par pays et au nombre total, où le pourcentage est plus bas pour les noms masculins, et plus élevé pour les noms féminisés : soit respectivement 54,9 % et 45,1 %. Le résultat en tout est quand même conforme à la tendance constatée auparavant, que la féminisation est plus répandue au Québec qu’en France. En analysant le Tableau 4, on voit que les femmes sont représentées pour tous les noms donnés.

Examinant de plus près les cinq noms apparus le plus souvent (compté d’après le nombre d’occurrences masculines) : président / présidente, chef / chef, directeur / directrice, journaliste / journaliste et professeur, prof / professeur, prof ou professeure, on voit que tous ces noms à la forme féminine apparaissent dans les deux publications.

Tous les noms donnés dans le Tableau 4 sont utilisés dans les deux publications, sauf les titres ingénieure, Première ministre, conseillère et leader. Revenant au cinq formes masculines apparues le plus souvent, on voit qu’elles ont toutes une fréquence de 11 ou plus. Président est compté 20 fois et chef 18 fois, ce qui fait presque le double. Ce qui est intéressant, c’est qu’il n’y a que six occurrences de présidentes et trois de chefs (femmes) parmi les deux noms les plus fréquents à la forme masculine, un nombre assez bas. Il y a une seule occurrence de présidente d’un pays, alors que le titre président désigne bien le président d’un pays ou du parlement pour la plupart des occurrences. Voici quelques exemples des occurrences de président / présidente trouvées dans mon corpus :

18Le marquage « * » indique que le nom est d’origine anglaise, et un mot d’emprunt.

1. Une femme présidente des États-Unis ? […] Plein de gens qui, lors de l’investiture démocrate de 2008, l’ont abandonnée pour aller vers Obama disent aujourd’hui : on s’est peut-être trompés. Qu’aurait fait Hillary ? Aurait-elle été meilleure présidente que lui ? (chatelaine.com 2014b).

2. Christina Romer, présidente du Comité des conseillers économiques du président Obama en 2009-2019. (L’actualité 2014b)

De plus j’ai enregistré deux occurrences de vice-président et deux de vice-présidente parmi les données québécoises (voir les Annexes 5 et 6). Par contre, les femmes sont présentes dans 22 occurrences de directrice, dans neuf de journaliste et dans cinq de professeur / prof ou professeure, ce qui d’ailleurs est un nombre plus élevé comparé au nombre d’occurrences de ces titres à la forme masculine. En étudiant les articles de L’actualité et de Châtelaine, je n’ai relevé aucune occurrence où les titres sont garnis par monsieur ou madame. Dans les magazines québécois on ne trouve pas non plus les constructions femme plus le titre masculin ou le titre féminin, comme c’était le cas dans les publications françaises.

Est-ce que mon corpus peut nous montrer si les recommandations officielles au

Québec sont suivies ou pas ? J’ai étudié les occurrences des noms de métiers, fonctions, grades et titres trouvées dans les publications choisies, et qui sont présentées dans le Tableau 4 ci-dessus, pour pouvoir répondre à cette question. Pour le nom président, on voit que la forme féminine est présidente, ce qui est tout à fait comme il faut selon les recommandations officielles par l’Office de la langue française du Québec (voir « La situation au Québec », 2.2.4). L’Office conseille de former des noms féminins par l’ajout d’un –e, si les formes masculines se terminent par un –t, –d, –é ou –is, et on voit donc que le nom député au masculin, qui au féminin fait députée, et président / présidente sont construits conformément aux règles conseillées. D’autres exemples à mentionner trouvés dans mon corpus qui suivent cette règle, sont entre autres les noms féminins avocat / avocate, candidat /candidate, étudiant /étudiante, soldat /soldate et adjoint / adjointe (voir Annexes 5 et 6).

Le titre féminin ingénieure, est aussi conforme à ce qui est recommandé. Les noms terminés en –eur, comme chauffeur ou chercheur, se construisent régulièrement en –euse, selon les règles, ce qui nous donnes les variantes chauffeuse ou chercheuse à la forme féminine. Pourquoi donc la variante ingénieure ? Parce que ingénieur, avec les titres gouverneur et professeur sont des exceptions à la règle, et ils donnent les genres féminins ingénieure, gouverneure et professeure. Les formes une professeur ou une professeuse existent aussi, mais l’usage en est déconseillé. On voit que L’actualité a utilisé la version professeur une fois, pendant que Châtelaine a choisi d’utiliser la forme féminine professeure trois fois, et une fois sa forme abrégée, prof. Aucun des deux magazines ne se sont pas servi de la variante professeuse.

Continuons l’analyse avec le nom féminin conseillère, la forme féminine a été

construite selon les conseils officiels au Québec. Tous les noms qui se terminent en –er ou –ier suivent les règles morphologiques de la langue, et la formation régulière du féminin en –ère ou –ière : conseiller / conseillère, officier / officière, trésorier /

trésorière, couturier / couturière. Les noms journaliste et chef du Tableau 4 sont des noms épicènes, avec bien d’autres appartenant au corpus des données québécoises. On trouve par exemple les noms : sociologue, psychologue, chorégraphe et sexologue qui sont tous présents pour les deux sexes. Pour les noms journaliste, chorégraphe, sociologue, psychologue et sexologue c’est évident, vu leur forme. Ils appartiennent au groupe de noms qui se terminent par –e. Les noms terminés en –f, sont par contre normalement conseillés à considérer comme épicène, et chef fait partie de ce groupe.

Suivant les recommandations concernant la féminisation, le féminin de ces noms épicènes sera donc marqué par les déterminants une ou la : une journaliste, la chorégraphe, la chef, une ministre, la porte-parole, etc.

1. Une porte-parole du bureau du premier ministre a indiqué que M. Harper avait donné des cadeaux à M. Poutine dans le passé. (lactualite.com 2014b).

2. Il y a plein de raisons, dit la psychologue Kate Nightingale. […] Une couleur vive révèle davantage la personnalité, ajoute Françoise Dulac, sociologue qui a

longtemps enseigné à l’École supérieure de mode de Montréal. (Châtelaine 2014d).

3. … une création menée en tandem avec la chorégraphe et metteure en scène Paula de Vasconcelos… (L’actualité 2014a).

Les noms empruntés à une langue étrangère n’ont pas été commentés dans les

recommandation de l’Office dans leur publication Au féminin : Guide de féminisation des titres de fonction et des textes (Biron et al. 1991), mais on trouve l’exemple un clown / une clown dans leur « Liste de titres, fonctions, et appellations de personnes au féminin

» (Ibid., Annexe I)19. On peut donc tirer la conclusion que les recommandations statuées en France sont aussi valables au Québec, et qu’il faut considérer les noms empruntés comme des noms épicènes, gardant leur forme féminine identique à la forme masculine, précisée par les déterminants une ou la : une leader, une coach, la boss, la designer. Dans mes données tirées des magazines Québécoises, on trouve par exemple leader parmi les 19 noms les plus fréquents, qui figure au masculin comme au féminin, et si on regarde les résultats enregistrés dans les Annexes 5 et 6, on trouve aussi le nom designer utilisé pour les deux sexes.

Compte tenu des circonstances, l’histoire de la jeune designer d’intérieur de 24 ans, qui vivait au Qatar depuis 2011… (lactualite.com 2013).

En examinant les noms qui se terminent en –teur, par exemple directeur tiré du Tableau 4, les règles à suivre sont de construire des noms féminins soit avec le suffixe –teuse ou –trice. Si les noms masculins peuvent former un participe présent en

remplaçant le suffixe –eur par –ant (chanteur – chantant, chercheur - cherchant), le féminin se termine en –teuse. Parmi les exemples trouvés dans les publications québécoises (Annexes 5 et 6), les noms masculins chanteur, entraîneur et chercheur peuvent tous former des participes présents (chantant, entraînant, cherchant), et forment donc les noms féminins en –teuse : chanteuse, entraîneuse et chercheuse.

Sinon le féminin prend le suffixe –trice. On voit que (co)fondateur au masculin est devenu (co)fondatrice au féminin, comme c’est aussi le cas pour directeur / directrice, rédacteur / rédactrice, créateur / créatrice et acteur / actrice. Encore une fois, on ne peut que constater que les rédactions de L’actualité et Châtelaine obéissent aux recommandations officielles dans leurs articles.

19À consulter sur : http://www.oqlf.gouv.qc.ca/ressources/bibliotheque/feminin/aufeminin_final.pdf

Les titres liés à la politique sont également intéressants : ministre, Premier ministre, gouverneur, politicien, sénateur, candidat, maire, homme politique (président et député déjà traités ci-dessus). Étant des noms épicènes, ministre et maire construisent leurs formes féminines avec les déterminants féminins une ou la. Il faut quand même

préciser que selon les règles de féminisation, le nom maire a aussi un féminin en –esse : mairesse, mais que la forme épicène est conseillée par l’Office. Le nom sénateur devient sénatrice et candidat devient candidate, tous suivant les règles déjà mentionnées ci-dessus. Gouverneur est comme ingénieur, une exception à la règle et devient

gouverneure et ingénieure à la forme féminine. Il y a le cas du nom politicien, qui selon les recommandations appartient au groupe de noms qui se terminent en –n, qui en plus de l’ajout d’un –e, ont dans quelques cas aussi un doublement de –n : politicien / politicienne, académicien /académicienne, musicien / musicienne. Pour les

dénominations complexes, comme par exemple Premier ministre, ministre délégué, directeur financier et haut fonctionnaire, les substantifs sont féminisés quand les adjectifs et les participes s’accordent au féminin, et ça donnes les formes féminines : première ministre, ministre déléguée, directrice financière et haute fonctionnaire.

Les métiers de médecin, docteur et auteur sont aussi parmi les données présentées dans le Tableau 4. Quant aux docteur et auteur, ils appartiennent au groupe de noms se terminant en –teur, ce qui indique qu’ils doivent former des noms à la forme féminine en ajoutant les suffixes –teuse ou –trice, ce qui a déjà été expliqué ci-dessus. Mais les noms docteur et auteur font partie de l’exception à la règle selon l’usage étendu, et leurs formes féminines sont ainsi devenues docteure et auteure. Selon Biron et al.

(1991), la raison de ceci est que plusieurs variantes féminines existaient déjà en concurrence depuis un bon moment, et l’Office a donc choisie de garder l’usage des plus courantes. Médecin est terminé par –n, et la construction normale de la forme féminine se fait en ajoutant un –e, mais comme le nom médecine a un autre sens, on a choisi de garder la forme masculine pour ainsi éviter de la confusion de sens, et donc de traiter médecin comme un nom épicène.

1. 3 questions à la Dre Christiane Laberge […] Elle est un peu la médecin de famille de tous les Québécois. (Châtelaine 2014b).20

20Dre est la forme abrégée de docteure.

2. L’auteure Donna Tartt […] L’auteure sait se mettre dans la peau de cet adolescent.

(Châtelaine 2014a).

3. Fanny Britt, traductrice littéraire et auteure… (L’actualité 2014c).

On voit que la presse québécoise suit les recommandations officielles dans toutes les occurrences présentées dans mon corpus. De plus, on voit que les femmes sont bien représentées parmi ces métiers : on trouve huit auteures, trois docteures et quatre médecins. Le grand nombre de directrices, en plus des occurrences de présidentes, docteures et médecins, présenté dans l’ensemble de mes données parmi les 17 noms plus fréquents, nous montre que les femmes sont bien représentées dans les

professions et les positions estimées en haut de la hiérarchie. J’aimerais ajouter qu’on trouve aussi des athlètes parmi les occurrences dans mon corpus: skieuse, planchiste, nageuse et patineuse (voir les Annexes 5 et 6).

Dans mon corpus, le terme générique, c’est-à-dire le processus de neutralisation du genre global et la désignation d’une classe entière d’éléments, est la forme utilisée pour désigner au pluriel aussi bien des hommes comme des femmes quand on parle de l’ensemble d’un groupe ou d’une personne quiconque, par exemple un responsable, les ministres, les professeurs, la direction, la présidence, etc. Je n’ai trouvé aucune

occurrence de formes des deux genres, où la forme féminine est placée à côté de la forme masculine, pour souligner la présence des femmes dans un texte, même si la solution préconisée par l’Office (Biron et al. 1991) :

Cette rencontre s’adresse à tous les directeurs et à toutes les directrices du ministère.

Par contre, j’ai trouvé des occurrences où sont utilisées les formes féminines au pluriel, quand les personnes en question sont des femmes, même pour les désigner comme l’ensemble d’un groupe :

1. Le carnet des sportives. (Châtelaine 2014c).

2. Rencontre avec cinq productrices de champagne. […] Parmi les producteurs, de nombreuses femmes. […] Qui sont les productrices d’aujourd’hui, qui marchent dans les pas de ces figures mythiques ? (chatelaine.com 2013).

3. Créée en 1996 et située à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques compte plus de 30 chercheurs issus de pays et de disciplines divers… (lactualite.com2014c).

Dans le premier exemple on vise l’ensemble d’un groupe : des femmes sportives, et c’est très clair que l’article ne s’adresse pas aux hommes. L’exemple deux consiste en une combinaison du même nom producteur dans le même article, utilisé au pluriel à la forme féminine et à la forme masculine, ceci pour désigner d’abord un groupe qui ne comprend que des femmes : « cinq productrices », dans sa forme féminine, puis le terme générique est utilisé pour désigner un groupe qui peut contenir des hommes et des femmes : « Parmi les producteurs, de nombreuses femmes » et enfin le recours au féminin : « Qui sont les productrices d’aujourd’hui », pour indiquer qu’on retourne maintenant aux femmes. Enfin, le troisième exemple ci-dessus nous montre comment est pratiqué le pluriel dans toutes les autres occurrences trouvées dans mon corpus, le masculin en fonction du terme générique : « 30 chercheurs ». Nous ne savons pas si l’article réfère exclusivement aux hommes, ou si dans l’ensemble il y a aussi des femmes.