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La  construction  absolue

6   Analyse  du  choix  de  déterminant  avec  la  possession  inaliénable  en

6.1   Le  possessif  détermine  la  possession  inaliénable

6.3.10   La  construction  absolue

Comme on l’a appris dans le chapitre 4, le déterminant défini représente la règle générale dans la construction absolue. Cependant, on voit également le possessif, ainsi que le

déterminant indéfini s’imposer dans ces constructions. Et, dans certains cas, la partie du corps est en fait exprimée sans déterminant. La version la plus courante est cependant celle où la partie du corps est précédée du défini, et suivie d’un adjectif, d’un participe passé ou d’un groupe prépositionnel :

(80) Les yeux brillants, Joseph se retourna vers lui. (L689)

(81) Les sourcils froncés, elle pensait à quelque chose avec préoccupation. (S311) (82) La main sur le bec-de-cane, elle se retourna pour demander : - Est-ce que tu as des

chaussettes propres, au moins ? (S227)

Bien que ce soit le défini qui représente la règle générale dans ces constructions, on voit

également le possessif se présenter, en représentant donc l’emploi exceptionnel : (83) Ses cheveux en désordre et ses pieds nus, ses yeux qu'une nuit de veille avait

agrandis, comme si elle avait pris de la drogue, lui donnaient une étrange beauté qui était un peu déplacée dans le jour. (S287)

(84) Sa tête petite, au visage enfantin, semblait ballotter dans le grand capuchon rabattu de son manteau de mer ; (…). (K885)

Concernant ces deux exemples, le possessif est employé, semble-t-il, afin d’ajouter une certaine valeur pragmatique aux phrases. Les phrases contiennent toutes les deux une caractéristique d’une personne, et il est donc probablement souhaitable que les parties du corps obtiennent une valeur individualisante, ce qui est conforme à la valeur descriptive des portraits. Pour ce qui est de l’exemple (84), le possessif sert à affirmer et à individualiser le caractère « enfantin et petit » de la personne décrite.

Comme je l’ai mentionné, il faut savoir que la construction absolue apparaît parfois sans déterminant, comme le montrent les exemples suivants :

(85) Ongles vernis, mais non assortis aux lèvres : les deux rouges se chamaillent. (R698) (86) Les petites mains s'étalent sur la table, paumes tendues, doigts écartés. (S230)

6.4 Bilan

Pour résumer de manière générale, on peut maintenir que le possessif réfère de manière explicite au possesseur, alors que le défini y réfère de manière implicite. En choisissant entre les deux, il faut donc considérer s’il faut être explicite ou s’il suffit d’être implicite, selon le contexte. En général, plus la relation d’appartenance est évidente, plus le possessif devient un outil superflu dans la phrase, ce qui peut donner accès au défini. En revanche, si la partie du corps n’est pas étroitement liée au possesseur par la syntaxe, le besoin du possessif augmente.

Mais, comme on vient de le voir, il y a plusieurs facteurs qui entrent en jeu dans ce choix.

La manière de présenter les faits, la structure syntaxique, joue un rôle relativement important dans le choix de déterminant. En règle générale, si le référent possesseur n’est pas cité dans la phrase ou n’assume pas la fonction de sujet syntaxique, le possessif s’impose

obligatoirement. Lorsque le possesseur se réalise comme sujet et sa partie du corps prend la position de COD, les deux déterminants se trouvent en « concurrence ». Le français semble

cependant favoriser l’emploi du possessif dans ces cas. En revanche, le défini s’impose par convention dans les expressions figées.

Le français préfère donc en général l’emploi du possessif, qui représente sans aucun doute le déterminant le plus précis dans tous les cas où la possession inaliénable est déterminée.

Cependant, on a également constaté que le défini peut s’employer dans plusieurs cas lorsque l’on a affaire à ce type de possession. Quand le défini représente le choix naturel, il s’agit premièrement de constructions syntaxiques spécifiques, ce qui concerne les groupes verbaux incluant les verbes avoir, tenir et garder, ainsi que la construction absolue. Le point commun entre ces constructions syntaxiques est qu’elles impliquent une identification facile du

possesseur en question. En outre, les constructions exigeant l’emploi du pronom réfléchi ou du pronom datif permettent au défini de s’imposer devant la partie du corps, grâce à la valeur de possessif explicite que représentent ces pronoms. Et, dans les cas où la partie du corps prend la position de complément d’une préposition, les deux déterminants peuvent

s’employer, et on trouve donc un point de « concurrence » entre les deux déterminants aussi dans les compléments circonstanciels. Dans ces cas, on voit cependant la tendance que l’emploi du défini est favorisé de manière générale. Cela réside, selon moi, dans le fait que ces compléments servent à exprimer justement des informations circonstancielles, ce qui implique qu’une focalisation de la partie du corps n’est normalement pas souhaitable.

Le choix de déterminant joue un rôle pour l’effet communicatif, la valeur pragmatique qu’exprime le GN partie du corps, comme le maintiennent aussi Kleiber et Heinz. Dans les cas où les deux déterminants peuvent s’employer, il y a, selon moi, toujours une différence pragmatique entre les deux. C’est surtout l’opposition entre la valeur de focalisation et de neutralisation, et entre la valeur d’individualisation et de généralisation qui se manifeste dans beaucoup de cas. Les deux déterminants représentent donc des outils pragmatiques grâce auxquelles on peut exprimer un certain effet communicatif.

Pour résumer ; la syntaxe, le contexte sémantique, la convention de langage et des facteurs pragmatiques jouent un rôle dans la détermination de la possession inaliénable en français.

Selon Heinz, Il y a trop de facteurs différents qui peuvent être impliqués et amalgamés dans ce choix intuitif de la part de chaque locuteur. Il est donc probable que l’intuition y joue un rôle, ce que j’aurai l’occasion d’étudier plus profondément dans le chapitre suivant, où je vais présenter, analyser et discuter les résultats du questionnaire donné aux informants français.

7 Présentation et analyse de l’information donnée