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ANALYSES ET DISCUSSIONS CHAPITRE IV

IV.1 REMARQUES GÉNÉRALES

Le tableau 1 montre la répartition des deux futurs français dans le corpus et leurs traductions en norvégien. Le pourcentage est arrondi à l’entier le plus proche. Par conséquent, la somme des pourcentages indiqués ne fait pas nécessairement 100.

Tableau synoptique du corpus

Tableau 1 : Traduction en norvégien du futur simple et du futur périphrastique

Les diagrammes 1 et 2 montrent la répartition entre le futur simple et le futur périphrastique en français d’une part et la répartition des différentes expressions du futur en norvégien.

Futur simple et futur périphrastique

Diagrammes 1 et 2: Répartition du futur simple et du futur périphrastique en français et des expressions du futur en norvégien

Il ressort du tableau et des diagrammes ci-dessus que les deux futurs français correspondent à plusieurs expressions temporelles en norvégien. Nous constatons que c’est le futur simple qui est la forme la plus utilisée en français pour exprimer le futur (63% des cas) et, comme cela a déjà été signalé en II.2, c’est le présent de l’indicatif qui est le moyen le plus couramment utilisé pour exprimer des événements futurs en norvégien (41%). Surtout pour traduire le futur

simple, c’est le présent qui est de loin la forme la plus employée. Pour ce qui est du futur périphrastique, le présent (183 occurrences) est suivi de près par la périphrase [skal + infinitif]

(174 occurrences). Comme il a déjà été constaté (voir II.2.1), les verbes modaux [skal et vil + infinitif] représentent traditionnellement le futur norvégien. Il convient de noter que la périphrase [vil + infinitif] ne représente que 26% des expressions du futur dans le corpus. Cela s’explique sans doute par le fait que le verbe modal vil est employé pour marquer un registre soutenu et parce que la valeur modale de volonté est dominante en l’absence de repère temporel (cf. II.2.1.2). Nous observons que la périphrase [kan + infinitif] est plutôt rare en combinaison avec le futur périphrastique tandis qu’elle est employée assez fréquemment avec le futur simple. Il ressort des chiffres cités dans le tableau 1 que la seule expression du futur norvégien qui est purement temporelle, c’est-à-dire la périphrase [kommer/kjem til å + infinitif] est peu représentée dans le corpus dépouillé (5% des cas). Nous pourrions nous attendre à ce que cette périphrase figure moins fréquemment que les autres périphrases dans le corpus dépouillé. La raison en est qu’elle est utilisée surtout à l’oral (cf. en II.2.2.3) et qu’elle est incompatible avec des modalisations et avec des opérations de gradation. Il convient d’ajouter que la périphrase [bør + infinitif] n’a pas été incluse dans ce tableau, et par conséquent, dans les tableaux qui suivent, parce qu’il n’y avait pas d’occurrences de cette périphrase exprimant le futur dans tout le corpus dépouillé.

Regardons pour commencer un extrait tiré de Moderato Cantabile :

(1a) — Anne n’a pas entendu.

Elle tente de sourire davantage, n’y arrive plus.. On répète. Elle lève une dernière fois la main dans le désordre blond de ses cheveux. [...]

Alors que les invités se disperseront en ordre irrégulier dans le grand salon attenant à la salle à manger, Anne Desbaresdes s’éclipsera, montera au premier étage. [...] Elle ira dans la chambre de son enfant, s’allongera par terre, au pied de son lit, sans égard pour ce magnolia qu’elle écrasera entre ses seins, il n’en restera rien. Et entre les temps sacrés de la respiration de son enfant, elle vomira là, longuement, la nourriture étrangère que ce soir elle fut forcée de prendre.

Une ombre apparaîtra dans l’encadrement de la porte restée ouverte sur le couloir, obscurcira plus avant la pénombre de la chambre. Anne Desbaresdes passera légèrement la main dans le désordre réel et blond de ses cheveux. Cette fois, elle prononcera une excuse.

On ne lui répondra pas. Moderato Cantabile (112) (1b) — Anne hørte visst ikke.

Hun forsøker å smile, men klarer det ikke. Man gjentar. Hun løfter for siste gang hånden mot den blonde hårmanken. […]

Når gjestene sprer seg inne i den store salongen ved siden av spisesalen, kommer Anne Desbaresdes til å forsvinne opp i annen etasje. […]

Hun vil gå inn til barnet, legge seg på gulvet, ved siden av sengen hans, uten tanke på magnoliaen som vil knuses mellom brystene hennes. Det blir ikke noe igjen av den. Og mens barnet puster fredelig, kommer hun til å kaste opp der, langsomt kommer all den underlige næringen opp, alt som er blitt tvunget i henne i kveld.

En skygge vil vise seg i døråpningen og gjøre rommet enda dunklere.

Anne Desbaresdes vil la hånden gli lett gjennom det blonde håret, som nå er fullstendig i uorden. Denne gangen vil hun komme med en unnskyldning.

Hun vil ikke få noe svar. (77)

Cet extrait a été choisi parce que nous avons treize occurrences du futur simple dans le même contexte. Cette même forme de futur en français correspond à quatre expressions du futur différentes dans la traduction norvégienne. Cela illustre bien le fait qu’une seule forme du futur en français correspond à plusieurs expressions temporelles en norvégien (cf. tableau 1 ci-dessus). Il n’existe donc pas de correspondance une-à-une entre un futur en français et un futur en norvégien. L’extrait choisi se distingue des autres exemples parce qu’après un examen plus attentif du contexte, nous pouvons constater que ce même extrait présente une alternance du monologue intérieur et du récit. Tout l’extrait est une projection dans l’avenir.

La première partie, c’est-à-dire jusqu’au crochet, et la dernière partie de l’extrait (commençant quand la phrase « Anne Desbaresdes passera légèrement la main dans le désordre réel et blond de ses cheveux » se répète). Il s’agit, dans ces deux parties, d’un récit de la part du narrateur et nous sommes dans le réel33. Le reste de l’extrait est un monologue intérieur. Le protagoniste, Anne Desbaresdes, s’imagine que l’action décrite en (1a) se réalisera. Un facteur qui favorise l’interprétation de cet extrait comme un monologue intérieur est le fait que les paroles rapportées sont au futur simple.

Le futur simple est rendu par la périphrase [vil + infinitif] (huit occurrences), [kommer/kjem til å + infinitif] (deux occurrences), le présent de l’indicatif (une occurrence) et de l’auxiliaire blir (une occurrence). Le présent (sprer seg) est utilisé parce qu’il est de règle en norvégien dans les propositions temporelles introduites par når lorsqu’il y a une référence au futur (voir en II.2). Dans les subordonnées temporelles à référence au futur, le présent norvégien est imposé par des règles syntaxiques. Nous reviendrons sur les subordonnées temporelles en

33 Il a déjà été constaté (cf. III.2) que, selon Benveniste (1966 :243), le futur est un temps fondamental du discours, mais il est exclu du récit. Cependant, nous rencontrons ici le futur simple dans le récit (passera, prononcera et répondra). Cela réfuterait dans ce cas-là l’affirmation de Benveniste.

IV.6.2.1. Le futur simple s’éclipsera est traduit par la périphrase [kommer til å + infinitif].

L’absence de repère futur favorise la traduction par cette expression du futur purement temporelle. Le contenu sémantique du futur simple montera est, par contre, rendu par l’adverbe de lieu opp en norvégien. Cet adverbe de lieu n’a pas d’équivalent direct en français. Par conséquent, il s’exprime plutôt par un verbe qui indique une direction (cf.

Pedersen et al., 2000 : 422). Cette traduction par opp réduit les expressions du futur dans la traduction à douze (versus treize dans le texte source). Grâce au tableau 1, nous pouvons constater que la traduction du futur périphrastique français par la périphrase [kommer til å + infinitif] constitue un cas de figure bien représenté dans le corpus (le troisième mieux représenté après le présent et [skal + infinitif], mais beaucoup moins représenté que ces deux formes). Le verbe de mouvement ira et le verbe s’allongera, qui implique un futur de prédiction, sont traduits par la périphrase [vil + infinitif] (le vil est implicite pour legge). Cette périphrase exprime un futur de prédiction, mais elle véhicule également la valeur de la volonté. La raison pour laquelle il y a autant de verbes au futur simple traduits par [vil + infinitif] pourrait être que le traducteur a des préférences pour cette périphrase. Le futur simple (restera) est ici purement temporel, sans aucune nuance de modalité. Il est traduit par l’auxiliaire blir en norvégien. Il a été mentionné (cf. en II.2.2.2) que le norvégien utilise souvent blir pour faire référence à l’avenir dans les phrases où s’utilise er « être » au présent.

Pour regarder si les structures apparaissent avec une autre distribution dans les textes traduits en norvégien que dans les textes originaux en norvégien, regardons un exemple :

(2a) «Vi får hente Grete i barneparken og kjøre henne ut til Åse. Jeg skal ringe og høre om det er i orden. — Petter klarer seg selv, når han kommer hjem. Jeg får skrive en lapp til ham.» Falne engler (18)

(2b) «On va aller chercher Grete à la garderie et l’emmener chez Åse. Je vais l’appeler pour savoir si on peut y aller. Petter se débrouillera en rentrant. Je vais lui laisser un mot.» (22)

Il s’agit ici d’un discours direct. Dans (2a) l’auxiliaire modal får dénote la nécessité. Il est traduit par va aller, qui comporte un mouvement spatial ainsi que l’idée de futurité. Il a déjà été constaté (voir en III.1.4) qu’un mouvement spatial est nécessairement aussi un mouvement temporel, puisque tout mouvement localisé spatialement doit avoir lieu temporellement aussi.

[Skal + infinitif] exprime ici une intention ou une promesse. Il s’agit d’une proposition affirmative à la première personne. Les futurs à la première personne ont souvent une nuance d’intention. Le procès dépend de la volonté du sujet, qui donne l’assurance que le procès se

réalisera. L’événement est un acte intentionnel de la part du locuteur, soumis au contrôle de celui-ci. Le futur périphrastique, en étant plus directement lié au présent de l’énonciation, exprime ici une certitude (cf. en I.2.3.1) que le procès se réalisera. Le norvégien utilise le présent (klarer) parce que la subordonnée temporelle (når han kommer hjem) fait comprendre que la réalisation du procès se situe dans le futur. Le présent est traduit par le futur simple, ce qui est un cas de figure habituel. Comme il vient d’être illustré par le tableau numéro 1 (voir IV.1 ci dessus), 44 % des futurs simples en français correspondent à des présents en norvégien. Néanmoins, ce n’est pas une contrainte strictement imposée, mais plutôt une tendance de correspondance. Le futur simple exprime ici une prédiction. Le locuteur a la conviction que le procès futur va se produire.

Dans ce qui va suivre, nous étudierons les différents paramètres. Le premier champ d’investigation sera les compléments de temps à sens futur. Nous commencerons par une analyse générale des compléments de temps à sens futur pour ensuite étudier les dix compléments de temps à sens futur français les plus fréquents dans le corpus dépouillé.