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COMMENTAIRES : À LA LUMIÈRE DE LA TAD

In document De la TSD à la TAD. Un témoignage (sider 24-32)

Ces commentaires visent à mettre en relief quelques aspects seulement de ce que donne à entendre l’entretien ci-dessus. Partons des notions, récemment introduites, de curriculum institutionnellement offert (CIO) et de curriculum personnellement vécu (CPV). Dans le témoignage de Heidi, nous voyons exemplairement la description d’un curriculum personnellement vécu. Ce CPV se développe sur une durée de quelque trente années, de 1990

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à aujourd’hui. Bien entendu, comme toujours, il n’est pas d’une pièce, mais emprunte des épisodes et des matériaux à une multiplicité de curriculums institutionnellement offerts qui, en arrière-plan, jouent un rôle capital – sans eux, il n’existerait pas de rencontres, improbables ou non !

Sans entrer ici dans une formalisation complexe, rappelons simplement que, pour une personne x, un curriculum personnellement vécu consiste en une suite de positions institutionnelles p, chacune avec son équipement praxéologique πx(p) tel que x le perçoit. Le récit que fait Heidi de son cheminement exprime d’abord, du moins en apparence, le caractère

« stochastique » de son propre curriculum vécu, qui dépend de conditions et contraintes institutionnelles établies mais aussi d’événements imprévus et improbables, qu’on peut dire aléatoires21 et qu’on notera génériquement, ci-après, ɇ.

Arrêtons-nous d’abord sur ce point essentiel, en prenant pour critère la rencontre (ou la non-rencontre) avec une théorie 𝓣 qui sera d’abord 𝓣1 = TSD. Le CPV de Heidi emprunte tout d’abord le tracé du CIO qui conduit, à l’université de Trondheim, au Postgraduate Certificate in Education (PGCE), qu’elle obtient en 1990. Cette fois-là, en un parcours certes riche de rencontres (Skemp, Pólya, etc.), nulle chance pour elle de rencontrer la TSD (dont Heidi ne connaît pas même l’existence) ! Notons 𝓣0 ce premier cadre théorique « anglo-saxon ». C’est en ce point que Kairos, le petit dieu ailé, va changer une trajectoire qui semblait toute tracée.

Alors que, à Trondheim, depuis 1999, elle intervient en formation des enseignants, Heidi vient occuper aussi une autre position institutionnelle (au sens de la TAD), momentanée celle-là : en 2003, elle s’engage, avec un collègue, dans la conception d’un projet de master de formation des enseignants. L’agence norvégienne chargée de l’habilitation de ce projet donnera sa validation et la formation commencera à la rentrée 2005. C’est dans ces circonstances que se

21 De tels événements sont « imprévus », « improbables », « aléatoires » du point de vue de certaines instances (personnes ou positions institutionnelles), par exemple des acteurs et actrices de la situation considérée ou de certains observateurs et analystes de cette situation. On sait que la définition de la notion de « suite aléatoire » reste, mathématiquement, débattue (voir SUITE ALÉATOIRE, 2020). En pratique, on utilise le plus souvent des suites « pseudo-aléatoires », qui, en fait, ne sont qu’apparemment aléatoires (voir GÉNÉRATEUR DE NOMBRES PSEUDO-ALÉATOIRES, 2020). Derrick H. Lehmer (1905-1991), qui fut à l’origine de l’utilisation des congruences pour engendrer des suites pseudo-aléatoires (voir GÉNÉRATEUR CONGRUENTIEL LINÉAIRE, 2019), écrivait en 1951 : « A pseudo-random sequence is a vague notion embodying the idea of a sequence in which each term is unpredictable to the uninitiated and whose digits pass a certain number of tests traditional with statisticians and depending somewhat on the uses to which the sequence is to be put. » (LEHMER, 1951, p. 143). Bien entendu, l’ambition de la science est de permettre aux uninitiated dont parle Lehmer de s’initier aux mécanismes causaux sous-jacents.

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produit l’un de ces événements improbables, notons-le ɇ1, qui jalonnent un CPV : l’agence approuve le projet mais dit regretter que sa bibliographie ignore les travaux « français » en la matière. Voilà donc, ex abrupto, inopinément, une ouverture potentielle dans un univers jusque-là bien clos. Encore fallait-il aller voir ce vers quoi cette ouverture pouvait conduire ! À nouveau, un événement non entièrement prévisible, ɇ2, se produit : Heidi va y voir (elle évoque, certes, à propos de ɇ2, des conditions momentanément favorables : une période de vacances et de creux intellectuel relatif). Elle repère alors un article récemment publié, signé de Guy Brousseau, Nadine Brousseau et Virginia Warfield, dont elle découvre, étonnée et impressionnée, le contenu. C’est là un nouvel événement peu prévisible, ɇ3. C’est le point d’inflexion, où la trajectoire de x passe de l’autre côté de sa tangente et, si l’on peut dire, change de camp.

Cette inflexion amorce un curriculum qui procède d’un engagement tout à la fois personnel et institutionnel. Alors qu’elle est doctorante à l’université d’Agder depuis 2003, Heidi se procure, après sa lecture de l’article de 2004, le livre de 1997 et, impavide, entreprend de l’étudier. Par ailleurs, lors du cours du printemps 2005 à Copenhague, elle opte pour la TSD (contre, notamment, la… TAD). Enfin, sa thèse se fera dans le cadre de la TSD, qu’elle fait accepter par son environnement scientifique immédiat, que composent Barbara Jaworski et Simon Goodchild. Ainsi force-t-elle le destin.

Pourquoi cela ? Je vais y revenir. Mais poursuivons. Le destin a plus d’un tour dans son sac. Heidi accomplit son travail de thèse dans un relatif isolement scientifique, quoique avec le secours de quelques interlocuteurs prestigieux – Nicolas Balacheff, Marie-Jeanne Perrin-Glorian et… Guy Brousseau lui-même, consulté par le truchement de Luc Trouche. Un certain environnement académique proche, on l’a noté, est hostile à ce travail qui rompt avec la théorie originaire 𝓣0 au sein de laquelle elle travaillait au départ. Arrive enfin22 le temps de la soutenance (qui aura lieu le 9 février 2012). Il faut constituer le jury. Là se produit à nouveau un événement, ɇ4, qui aura des conséquences décisives, quoique différées : l’un des deux

« opposants » (rapporteurs) qui composent le jury de thèse est Marianna Bosch, pressentie par Barbara Jaworski, mais que Heidi, à l’époque, connaît peu. Depuis le cours de Copenhague en

22 Le travail de thèse a été retardé notamment par la nécessaire implication de Heidi (qui, à cette époque, était peut-être la plus familiarisée, dans l’équipe enseignante, avec la littérature didactique) dans le master de formation des enseignants qui démarre à la rentrée 2005.

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2005, Heidi n’a certes pas perdu tout contact avec la TAD. Le lendemain de sa soutenance, en février 2012, Marianna reprend dans un exposé des éléments de sa thèse pour les analyser à l’aide de la TAD ; mais, de son propre aveu, Heidi l’écoute sans bien l’entendre. En mars et octobre de la même année 2012, elle participe, à Copenhague, à deux séminaires sur la TAD, ce qui ne sera pas sans effets, on va le voir. Là le destin semble hésiter. En 2014, deux événements improbables se produisent. Le premier, ɇ5, est le fait que Heidi vienne occuper une toute nouvelle position institutionnelle, en entrant à la fin du mois de janvier dans un groupe franco-anglais de chercheurs en didactique, la Frengly collaboration, avec des membres duquel elle travaillera jusqu’en mars 2019. Le second, ɇ6, prend place lors de la venue de Marianna à Trondheim en février 2014. Seul ce second événement, ɇ6, la rapproche vraiment, de façon cependant non encore manifeste, de la TAD. Mais il nous faut ici changer notre questionnement.

Un curriculum personnellement vécu (CPV) n’est pas fait seulement d’événements improbables ɇ ! La trajectoire curriculaire suivie par x, si étonnante soit-elle, est toujours la résultante de l’action d’une « force motrice » et d’événements ɇ faiblement probables. La recherche de cette force motrice est au cœur de l’analyse curriculaire des CPV, qui nous occupe ici. Que se passe-t-il dans le cas du CPV qui conduit x = Heidi à rencontrer et à étudier la théorie 𝓣1 = TSD ? Sur la base des éléments mis en lumière par l’entretien, on peut avancer l’hypothèse selon laquelle x tente de répondre à une question 𝓺1 qui peut se formuler ainsi : quelle théorie 𝓣 permettrait-elle – contrairement à la théorie originaire 𝓣0 – d’analyser non pas l’apprentissage et l’enseignement « en général », mais l’apprentissage et l’enseignement de contenus mathématiques déterminés ? La réponse que Heidi entrevoit, échafaude, élabore, grâce à un lourd travail et à une pertinacité rare qui aboutissent à la thèse soutenue en 2012, est donc : 𝓣 = 𝓣1 = TSD. Recourons ici au schéma herbartien [S(x, Y1, 𝓺1) ➦ M1] ➥ 𝓻1. La réponse 𝓻, on vient de le dire, est l’égalité 𝓣 = 𝓣1. On ne s’arrêtera pas plus longuement sur la composition du milieu M1, mais on sait que, en un premier temps, ce milieu est constitué à partir de l’article du Journal of Mathematical Behavior de 2004 et du livre de 1997. On a vu en outre que l’équipe Y1 des aides à l’étude est en fait très – et sans doute trop – réduite. À cet égard, ce CPV, ainsi qu’on l’a dit, se poursuivra autrement à partir de 2014, au moment même où, pour Heidi, une autre question surgit.

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L’événement clé est ɇ6, qui se produit en février 2014. Du récit fait plus haut par Heidi, on peut tirer l’hypothèse que x = Heidi rencontre alors, comme à l’improviste, la question 𝓺2

qu’on peut énoncer ainsi : quelle est cette théorie 𝓣 qui permet à Marianna Bosch de produire et de formuler sa critique du travail de x sur l’algèbre, travail que x croyait jusque-là, sinon inattaquable, du moins robuste ? Comme précédemment, le schéma herbartien s’écrit en ce cas : [S(x, Y2, 𝓺2) ➦ M2] ➥ 𝓻2. La réponse 𝓻2, on le sait, sera : « la TAD ». Autrement dit, 𝓣 = 𝓣2

= TAD. Deux traits sont d’emblée en place. Premièrement, la TAD apparaît d’abord comme une œuvre supposée, qui n’existe au début qu’à travers ses effets constatés23. Deuxièmement, ces effets sont d’autant plus spectaculaires qu’ils sont une certaine critique, incisive, du travail de Heidi sur l’algebraic thinking. Cette fois, de 2014 à 2019, la trajectoire se trace plus difficilement, sans doute parce que la TAD n’est pas d’abord visée pour elle-même mais pour le point de vue qu’elle pourrait nourrir sur la « question de l’algèbre ». Il est frappant de voir ce que Heidi rapporte à propos d’un nouvel événement très peu probable, ɇ7, survenu un peu plus tard, en septembre 2014 : la rencontre à Copenhague avec l’auteur de ces lignes. Car le dialogue se noue alors entre nous, non pas autour de la TAD, mais autour de l’algèbre. Ce n’est qu’un peu plus tard, lors d’une nouvelle rencontre, à Paris cette fois, que Heidi comprendra, avoue-t-elle aujourd’hui, avoir mal estimé, au départ, la complexité de ce qu’elle regardait peut-être alors comme une possible collaboration, semblable à celle dont elle avait eu l’expérience jusque-là. En 2019 encore, à la veille du séjour à Bellaterra, c’est un point d’algèbre (relatif à la moyenne arithmétique m de deux nombres a et b) qui nourrit chez elle le sentiment de l’existence d’un autre point de vue sur l’algebraic thinking – qui, du point de vue de la TAD, devrait s’appeler, si l’on peut dire, l’algebraic praxeologizing. La question cardinale devient alors la question 𝓺3 : comment, plus généralement, la théorie 𝓣2 = TAD permet-elle d’expliquer les phénomènes 𝚨 qui constituent, en telle institution donnée, la « praxéologisation algébrique » ?

Aujourd’hui, le travail sur 𝓺3 se poursuit. Mais un autre aspect doit être mis en avant dans le rapport de x = Heidi à 𝓣2. Il y a, dit-elle, dans 𝓣2, quelque chose qui à la fois l’attire et

23 Confidence pour confidence, c’est là exactement la situation où s’est trouvé, en juin 1976, à l’IREM d’Aix-Marseille, l’auteur de ces lignes à l’occasion pour lui très improbable d’une rencontre de plusieurs heures, en petit comité, avec Guy Brousseau. Cette fois, la théorie dont l’existence pouvait être supputée à partir de l’indomptable discours de Guy était, bien entendu, la TSD !

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l’inquiète, et qu’on peut circonscrire à l’aide d’une expression aujourd’hui entrée dans l’usage : celle de paradigme du questionnement du monde (PQM). Comme cet embarras semble relativement partagé, je précise ici quelques aspects de cette difficile question. À l’origine, il y a un format d’organisation didactique qui découle en vérité de la TSD, à savoir ce qu’on nomme une activité d’étude et de recherche (AER), qu’il vaudrait mieux appeler activité d’étude et de recherche finalisée (AERf), c’est-à-dire visant à faire rencontrer par des élèves ou étudiants X une œuvre 𝓸, mathématique ou autre, désignée à l’avance par le professeur y. Par exemple une AERf peut être engendrée par la question 𝓺 suivante : « Un paysan doit expédier un lot de 250 œufs dans des boîtes pouvant contenir chacune 6 œufs. De combien de boîtes a-t-il besoin ? » L’œuvre 𝓸 que le professeur « vise » ici (mais dont on ne sait pas si elle sera « atteinte »…) peut être la notion de reste d’une division et, au-delà, la notion de division euclidienne (ici, puisque 250 = 6 × 41 + 4, il faudra utiliser 41 + 1 = 42 boîtes). La question 𝓺 génératrice de l’AERf vise à faire rencontrer l’œuvre 𝓸. Mais une difficulté surgit : dans la gestion d’une classe, cela oblige, pour toute œuvre 𝓸, à envisager une question 𝓺𝓸 en principe différente, et adéquate, ce qui est lourd et conduit souvent, en pratique, à revenir bientôt à la simple visite des œuvres : on étudie 𝓸1 puis 𝓸2 puis… sans faire apparaître ces œuvres comme « poussées en avant » par des questions 𝓺1, 𝓺2, … ancrées dans la réalité commune, connue de tous (comme il en va par exemple pour le paysan et ses œufs). Mais on observe alors que, pour certains ensembles d’œuvres 𝓞, il existe un schéma de questions 𝓠 tel que, pour chaque œuvre 𝓸 ∈ 𝓞, il existe une question 𝓺 ∈ 𝓠 dont l’étude sous les conditions et contraintes prévalant dans la classe, conduise à rencontrer et à étudier 𝓸 autant que nécessaire afin de l’utiliser pour répondre à 𝓺24. En passant d’une question 𝓺 à un schéma de question 𝓠, on passe d’une AER à un PER, un parcours d’étude et de recherche. (Notons que, si 𝓠 se réduit à une unique question 𝓺, on retrouve la notion d’AER.) Cela dit, si 𝓠 « vise » un ensemble d’œuvres 𝓞 et si, en particulier, tout spécimen 𝓺 de 𝓠 « vise » une œuvre 𝓸 ∈ 𝓞 déterminée, on dira que le PER est finalisé, ce qu’on pourra désigner par la notation PERf. Mais, sauf si on réduit strictement un PER à être une suite d’AERf, on observe qu’il tend à se produire une « définalisation » partielle du PER : on supposera alors simplement que l’étude de telle question 𝓺 ∈ 𝓠 va susciter la rencontre avec

24 Un cas classique à cet égard est le thème dit des « distances inaccessibles », distances qu’on ne peut mesurer et qu’il faut donc calculer (à partir d’entités mesurables) en usant de connaissances géométriques idoines. Voir ainsi GUÉRIN, 2017.

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une ou des œuvres non précisées à l’avance mais appartenant à l’ensemble 𝓞 (qui peut être par exemple l’ensemble des théorèmes de géométrie du manuel de la classe). Bien entendu, si 𝓞 se réduit à un singleton, soit si 𝓞 = {𝓸}, on retrouve la notion d’AERf. Si, en revanche, partant dans le sens opposé, on prend pour 𝓞 l’ensemble des œuvres existantes ou à créer dans une société (ou, plus généralement, dans une institution) donnée, on arrive à la notion générale de PER non finalisé, et donc aussi d’AER non finalisée, ce qu’on notera respectivement PERnf et AERnf. On parlera alors non pas tant d’AER ou de PER que d’enquête sur la question 𝓺 ou sur le schéma de question 𝓠. Bien entendu, l’existence de PERnf (ou d’AERnf) dépend des pédagogies « permises » dans une école donnée, au sein d’une société donnée, dans un contexte de civilisation donné25. Lorsqu’on passe de l’étude immotivée d’œuvres 𝓸1, 𝓸2, …, aux AERf, puis aux PERf, on va progressivement du paradigme de la visite des œuvres vers le paradigme du questionnement du monde, qui ne sera pleinement réalisé que dans le cadre des PERnf et AERnf (lesquelles ne se distinguent plus que par la durée du temps d’étude, c’est-à-dire du temps d’enquête).

Ce que l’on observe aujourd’hui en nombre de systèmes éducatifs, c’est une certaine coexistence des deux paradigmes, qui cohabitent en fait depuis bien longtemps – car un mémoire de master ou de doctorat est en général le fruit d’un PERnf26. Mais, de nos jours, on constate une poussée invasive du paradigme du questionnement du monde aussi bien dans l’enseignement secondaire qu’à l’université, poussée corrélative d’un affaiblissement du paradigme de la visite des œuvres27.

En tant qu’acteur des systèmes d’éducation, comme enseignant ou formateur d’enseignants par exemple, ou bien sûr en tant que simple citoyen, le didacticien est « libre » de ses choix, qui sont pourtant toujours des choix sous contrainte (ils sont souvent surdéterminés par les conditions et contraintes de pédagogie, d’école, de société, etc.). En tant

25 On se réfère ici à l’échelle des niveaux de codétermination didactique, qu’on peut représenter ainsi : Humanité

⇄ Civilisations ⇄ Sociétés ⇄ Écoles ⇄ Pédagogies ⇄ Systèmes didactiques.

26 Notons aussi la notion traditionnelle, en anglais, d’essay, qui désigne « a short nonfictional literary composition » (AYTO, 2005, p. 198) et semble découler, par l’intermédiaire de Francis Bacon (1597), de l’emploi du mot français essai par Montaigne (1580). Cette notion est, paradigmatiquement parlant, ambiguë, de même que la notion de dissertation usitée traditionnellement au secondaire en France.

27 Le paradigme de la visite des œuvres lui-même n’est pas historiquement premier. Il découle de paradigmes pédagogico-didactiques plus anciens, dont celui « de la célébration des grands auteurs » – longtemps, ainsi, on n’étudie pas la géométrie (ou les mathématiques) mais les Éléments d’Euclide, etc. À nouveau, voir CHEVALLARD, 2020.

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que chercheur, en revanche, il doit se rendre capable – collectivement – d’expliquer ce qui a existé hier, ce qui existe aujourd’hui, ce qui pourrait exister demain. La TAD fournit pour cela un outil de modélisation clé, le schéma herbartien [S(X, Y, 𝓺) ➦ M] ➥ 𝓻 (ici dans sa forme dite semi-développée). Les œuvres 𝓸1, 𝓸2, etc., à utiliser pour répondre à 𝓺, et pour cela à étudier, se trouvent dans le milieu M. En principe, le schéma herbartien a été conçu pour permettre de modéliser toute forme pédagogico-didactique, y compris par exemple le cas de l’enseignement « magistral » le plus traditionnel, où Y = {y} et où M contient une réponse 𝓻y qui est en fait, en règle générale, la réponse 𝓻y de y à 𝓺, laquelle devrait devenir la réponse de la classe [X, Y] à 𝓺, en sorte que l’on aura 𝓻 = 𝓻y = 𝓻y28. Une paramétrisation adéquate du schéma herbartien, exprimée notamment en termes de topos de X et de topos de Y (qui détermine le contenu de M et comment ?, etc.) permettra de modéliser aussi bien les formes pédagogico-didactiques les plus anciennes que les formes les plus « avancées ». Notons encore que, bien entendu, l’enquête sur une question 𝓺 conduit à étudier des œuvres 𝓸 dont [X, Y] suppose qu’elles pourront contribuer à la formation de R, cette étude étant conditionnée qualitativement (quelles propriétés de 𝓸 étudier ?) et quantitativement (jusqu’à quel degré d’approfondissement pousser l’étude de ces propriétés ?) par les besoins de connaissance engendrés par l’étude de 𝓺 dans les conditions et sous les contraintes prévalentes.

Est-il loisible aujourd’hui de recourir exclusivement à des formes pédagogico-didactiques relevant pleinement du paradigme du questionnement du monde ? Sans doute pas.

Mais deux points doivent être soulignés. Tout d’abord il est souvent possible, désormais, de négocier la création, au sein d’un univers « scolaire » relevant largement encore de la visite des œuvres la plus classique, de lieux et de temps dédiés au questionnement du monde, dans le cadre d’un séminaire d’étude et de recherche (SER) où les questions 𝓺 à étudier seraient formulées, où des comptes rendus d’étude et de recherche seraient présentés, discutés, etc.

Ensuite, même dans le cas de la visite d’une œuvre 𝓸 curriculairement imposée a priori, il est possible de promouvoir une visite des œuvres « intelligente », qui a autrefois existé dans des

28 Notons que, dans cet enseignement dit magistral, il y a bien une enquête, mais celle-ci incombe à l’enseignant y, qui construit ainsi sa réponse 𝓻y et présente alors à la classe un compte rendu d’enquête explicitant cette réponse

28 Notons que, dans cet enseignement dit magistral, il y a bien une enquête, mais celle-ci incombe à l’enseignant y, qui construit ainsi sa réponse 𝓻y et présente alors à la classe un compte rendu d’enquête explicitant cette réponse

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